La controverse du potager
Ah, le printemps ! La saison des fruits et légumes primeurs ! Les petits pois, les fraises, bientôt les cerises en attendant les premières tomates du jardin et les abricots… Les plantes nous régalent avec leurs fruits, légumes et graines de toutes sortes et surtout constituent la base de l’alimentation humaine et animale. Aujourd’hui nous allons nous pencher sur les fameuses dénominations de nos aliments préférés.
Est-ce un fruit ? Un légume ? Une graine ? On se souvient tous de la controverse lors de repas familiaux sur la tomate : « Alors la tomate c’est un fruit ou un légume ? ». Nous serions tentés de vous répondre les deux, cela dépend du point de vue où l’on se place, mais pour les botanistes, c’est clair et net, voyez plutôt.
Revenons aux bases botaniques des fruits…
Comme nous vous en avons déjà parlé, la botanique est à la base de toutes les dénominations des plantes mais aussi de chaque partie de la plante… Le botaniste aime bien donner des noms à tout ce qui fait une plante en fonction de ses observations et expérimentations. Néanmoins, tout n’est pas si simple au royaume des fruits et légumes ! Mais ne vous inquiétez pas, qu’ils soient des fruits, des légumes ou bien des graines… ça ne changera rien à leur goût !
Commençons par la définition du fruit au sens botanique du terme. Là encore, quelques divergences subsistent mais nous retiendrons qu’un fruit est l’aboutissement de la fonction reproductrice sexuée des végétaux : il est le résultat de la transformation de l’ovaire après fécondation chez les plantes à fleurs ou Angiospermes (du grec aggêion/αγγειον : réceptacle et sperma/σπερμα : graine). Celles-ci renferment leurs graines dans des fruits le temps de leur maturation, contrairement aux Gymnospermes – ou plantes à « graines nues » (du grec gymno-/γυμνο : nu) – comme par exemple les conifères, qui portent leurs graines à la vue de tous sur les écailles des fameuses « pommes de pin ».
Les Angiospermes sont les plantes les plus répandues sur terre à notre époque et sont apparues il y a environ 125 millions d’années.
On distingue 2 grands types de fruits : les fruits charnus et les fruits secs. Et chacun de ces types est encore divisé en deux grandes catégories.
Les fruits charnus
Ce sont ceux que nous connaissons le mieux. Ils sont frais, juteux et parfumés… Il y a les fruits à pépins (oranges, groseilles, tomates, etc.) et les fruits à noyaux (prunes, cerises, abricots, etc.). Les fruits à pépins contiennent le plus souvent plusieurs graines, ou pépins, dispersées dans la pulpe. Les fruits à noyaux contiennent une graine unique, autrement appelée « amande », contenue dans la partie la plus interne du fruit qui s’est durcie au cours du développement.
Les botanistes appellent les fruits à pépins des « baies » et les fruits à noyaux des « drupes ». La citrouille et la tomate sont donc des baies au sens botanique. La taille n’a rien à voir ! C’est d’autant plus vrai que les framboises et les mûres du roncier ne sont pas des baies mais bien des drupes, et quand on les mange, ce ne sont pas des pépins que l’on a entre les dents mais bien des noyaux, aussi petits soient-ils…
Les fruits secs
Le nom peut être trompeur car les fruits secs que nous connaissons sont soit des fruits charnus que l’on a fait sécher (abricots, pruneaux, raisins, etc.) soit des graines (noix, noisettes, amandes, etc.). Comme pour les fruits charnus, il y a deux types de fruits secs :
- Les fruits secs déhiscents, qui s’ouvrent à maturité et libèrent leurs graines, comme le haricot, la silique du chou, la capsule du coquelicot, etc.
Le fruit sec du haricot – qui appartient à la grande famille des Légumineuses ou Fabacées – est une gousse qui renferme les graines. Elle peut se manger avant qu’elle ne murisse et devienne sèche comme pour le haricot vert ou encore le pois gourmand. L’autre nom que les botanistes donnent à la gousse des Légumineuses, vous vous en doutez, est le légume ! La boucle est donc bouclée : le légume est un fruit sec déhiscent ! Mais seulement pour la grande famille du petit pois, du haricot ou de la fève… Cela aurait été dommage de ne pas avoir d’exception !
- Les fruits secs indéhiscents, qui ne s’ouvrent pas à maturité, comme les grains des céréales, les samares des érables, les châtaignes. Les fruits secs indéhiscents sont tellement collés à leur graine qu’on les assimile parfois à la graine qu’ils renferment. Par exemple, le grain des céréales (le caryopse) est la combinaison du fruit et de la graine et donc, quand on fait de la farine intégrale, on utilise le fruit-graine en entier.
Et vous nous croiriez si on vous disait que le fruit du fraisier est un « fruit sec indéhiscent » ?
C’est pourtant la vérité botanique : la partie rouge et charnue de la fraise est en fait le réceptacle floral qui s’est transformé au cours de la maturation des fruits qu’il porte. Et les fruits proprement dits du fraisier sont les petits grains à sa surface qu’on appelle des akènes… Et encore on ne vous parle pas de la figue ou de l’ananas qui sont aussi des « faux-fruits » ! Ils ne sont pas issus de la transformation d’une fleur unique mais de toute une inflorescence (groupe de fleurs). Dorénavant, vous ne regarderez plus une figue de la même façon ;o)
Les plantes produisent des fruits qui renferment leurs graines le temps de leur maturation et pour faciliter leur dissémination
Vous l’avez remarqué, dans certains fruits, il est difficile de trouver des graines. Au cours du temps et surtout des sélections faites par l’Homme, les obtenteurs ont rendu certaines plantes stériles (sans production de graine) afin d’avoir des fruits plus agréables à consommer comme certaines variétés de pastèques ou de raisins.
En ce qui concerne la banane, l’histoire est un peu différente ! Saviez-vous que la « banane sauvage » (et ce n’est pas qu’une insulte !), possède de grosses graines noires au détriment d’une pulpe peu présente et peu gouteuse. Angélique D’Hont, chercheuse au CIRAD, explique que les bananes cultivées, à de très rares exceptions, ne sont pas issues de programmes d’amélioration récents mais proviennent de leur domestication progressive par l’Homme qui a sélectionné les caractéristiques qui l’intéressait. Aujourd’hui, les bananiers cultivés sont multipliés végétativement (par séparation de rejets d’un pied mère, par exemple) et donc un bananier cultivé actuellement provient d’une graine produite il y a des centaines voire quelques milliers d’années qui a donné une plante sélectionnée par l’homme et multipliée à l’identique depuis. Par exemple la plus grosse des bananes sur la photo ci-dessous, appartient à la variété Cavendish. Il s’agit de la variété la plus cultivée dans le monde puisqu’elle représente 50% de la production mondiale de banane. Malgré cela, elle provient d’une seule graine produite il y a très très longtemps.
Mais la plupart des plantes ne se laisse pas duper comme ça, car c’est inscrit dans leur code génétique : pas de graine produite, pas la peine de se fatiguer à faire des fruits ! Certaines variétés aujourd’hui dans vos assiettes ont donc fait une fois de plus appel à l’Homme…
Et les légumes que l’on met dans nos assiettes alors ?
Et bien pour le botaniste, certains sont de vrais « légumes » (les haricots verts, les pois gourmands, etc.), des graines (les lentilles, les fèves, le quinoa, les petits pois, etc.), des racines (les carottes, les panais, les betteraves, etc.), des feuilles (les salades, les blettes, les épinards, etc.), des tiges souterraines (les pommes de terre, les radis, etc.) et évidemment des baies (les tomates, les courgettes, les concombres) ou des drupes (les olives).
Ils sont fous ces botanistes !
La petite histoire américaine de la fraise…
On connaît tous la différence entre les petites fraises des bois (Fragaria vesca) au parfum si particulier qui poussent dans nos régions et les fraises cultivées, plus grosses (Fragaria x ananassa), dont l’arôme est moins puissant. Bien que les deux espèces soient proches, la fraise cultivée ne descend pas en droite ligne de sa cousine des bois mais du croisement entre deux belles américaines qui ont débarqué successivement en Europe :
- La première fraise « made in America » est la fraise de Virginie (Fragaria virginiana). Elle a été rapportée par Jacques Cartier à la fin du XVIème siècle. Ses fruits parfumés et sa production précoce ont immédiatement séduit les européens qui se sont empressés de la cultiver.
- Plus tard, au début du XVIIIème siècle c’est Amédée François Frézier (et ce n’est pas une blague !) qui rapporte du Chili, des plants d’une autre espèce, Fragaria chiloensis, qui produisent de gros fruits blancs mais peu résistants au froid. Toutefois, ce que ne savait pas Frézier, c’était que l’espèce F. chiloensis était dioïque, c’est à dire qu’elle présentait des pieds mâles et des pieds femelles. N’ayant rapporté que des pieds femelles fertiles, il a fallu trouver des pollens de variétés de fraisiers indigènes pour les faire fructifier !
Le « mariage » de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud a sans doute été réalisé en Bretagne, tout près de Plougastel. Ce nouvel hybride a été caractérisé par le botaniste Antoine Nicolas Duchesne dans les années 1760. Le résultat du croisement entre ces deux fraisiers sauvages produisait de gros fruits rouges et parfumés, la fraise « moderne » était née !
C’est de ce type d’hybridation, réalisée dans plusieurs jardins d’Europe, que provient la plupart des 600 variétés de fraisiers actuels. Parmi les variétés les plus connues, nous pouvons citer la Gariguette obtenue en 1976 par l’Institut National de la Recherche Agronomique ou bien la Mara des bois, dont la saveur rappelle celle de sa cousine sauvage, créée par l’obtenteur français Marionnet en 1992 à partir de 4 variétés anciennes de F. x ananassa.
Si vous voulez vous plonger dans l’histoire de la fraise, on trouve encore de nos jours les 2 espèces de fraises originelles qui sont cultivées de façon confidentielle.
» Le petit jardin potager que j’ai dans le coeur me console
de la grande culture que je n’ai pas dans la tête «
Simon Berryer
Pour aller plus loin
Histoires de légumes, des origines à l’orée du XXIèmesiècle. Michel Pitrat et Claude Foury. Coord. Éditions INRA
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