Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier…

Flower Power
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Flower Power

Flower Power

La semaine dernière, nous vous avons parlé de la star du jardin Botanique de Meise, l’arum titan (Un jardin botanique qui a la frite). La plus « grande fleur » du monde ou, pour être précis, la plus grande inflorescence du monde. Car c’est un organe végétal qui porte plusieurs fleurs et ce n’est donc pas à proprement parler une fleur dite « simple » comme peut l’être une rose ou une tulipe. Si on veut aller par-là, la plus grande fleur « simple » du monde n’est donc pas l’arum titan mais une autre plante : la rafflésie. Elle est originaire de la même région du monde, l’Asie du Sud-Est, où nous avons eu la chance de rencontrer une de ses représentantes, Rafflesia keithii, sur l’île de Bornéo, lors d’un trek en 2012.

Les rafflésies, géantes pestilentielles…

 

Ces fleurs ont été « découvertes » par les européens à partir XVIIIème siècle et en particulier par Louis Auguste Deschamps de Pas, un botaniste français, sur l’île de Java. Mais c’est en 1818, que l’une d’entre elles a été formellement identifiée sur l’ile de Sumatra par les naturalistes britanniques Thomas Stamford Raffles (le fondateur de la ville de Singapour) et Joseph Arnold. Et comme c’est souvent le cas à cette époque, une nouvelle espèce est baptisée du nom de ses découvreurs ! Elle a donc été nommée Rafflesia arnoldii, la Rafflésie d’Arnold ! On compte actuellement une trentaine d’espèces de ces plantes réparties entre la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines.

Cette fleur « simple » à cinq pétales dans les tons de rouge avec de jolies verrues et que l’on trouve au ras du sol, peut atteindre un mètre de diamètre et peser 10 kg lorsqu’elle est épanouie. Son bourgeon est de la taille d’un ballon de basket.

Le record de taille est détenu depuis janvier 2020 par Rafflesia tuan-mudae sur l’île de Sumatra avec 111 centimètres de diamètre tandis que Rafflesia consueloae, découverte en 2016 aux Philippines, est la plus petite des géantes avec un diamètre de « seulement » 10 cm.

Fleur de Rafflesia keithii. Bornéo, 2012.
Bouton de Rafflesia keithii. Bornéo, 2012.
Fleur sèche et fruit de Rafflesia keithii. Bornéo, 2012.

Autre caractéristique, et non des moindres : leur parfum, tout simplement insupportable.

Pour assurer sa pollinisation et donc la production de graines, la rafflésie a « choisi » de faire appel à une mouche. Celle-ci, qui a l’habitude de pondre ses œufs sur les charognes, est attirée par l’odeur « alléchante », avant de repartir – bernée, mais riche de sa cargaison de pollen – vers une autre fleur.

Pour ne citer que quelques-unes des molécules, et bien sûr des parfums associés, qui rendent irrésistible la rafflésie, on trouve l’acide butanoïque (arômes de vomi avec une touche de beurre rance le tout saupoudré de parmesan), le p-crésol (fragrance de bouses de vache) ou encore le 3-méthyl indole (ou scatol), qui à forte concentration participe aux odeurs d’excréments… Quel cocktail !

Cela dit, des chercheurs se sont posé la question du « pourquoi » la rafflésie avait mis en place des fleurs de taille aussi importante, de couleur rouge sombre avec des taches et des pustules. Un peu comme si elle avait cherché – outre l’odeur – à imiter visuellement le corps en décomposition d’un animal ! Et les résultats de leurs études ont mis en évidence que c’était bel et bien la combinaison du stimulus olfactif et du stimulus visuel qui attirait les insectes pollinisateurs.

Une plante confinée et menacée

 

La fleur s’épanouit au ras du sol, et en dessous… il n’y a rien ! Ni tige, ni feuille, ni racine… Juste la fleur et c’est tout ! Mais alors où est passé le reste de la plante ?

En y regardant de plus près – et en creusant un tout petit peu – on s’aperçoit que la fleur sort directement de la racine d’une vigne tropicale : la Tetrastigma. Le problème c’est que les fleurs de cette vigne on les connaît et qu’elles ne ressemblent pas du tout à la rafflésie !

En fait, la rafflésie vit à l’intérieur de Tetrastigma, sous la forme de filaments et ne sort de sa plante-hôte que pour se reproduire. La rafflésie est ce que l’on appelle une « plante parasite ». Elle n’a ni racines ni chlorophylle et ne peut donc ni aller chercher l’eau et les éléments minéraux dans le sol, ni produire ses nutriments toute seule par photosynthèse. L’unique solution qu’elle a trouvée est de parasiter une autre espèce qui lui fournit le gite et le couvert pour se développer et se reproduire. Dans ce cas, on parle alors d’holoparasitisme obligatoire.

Lianes de la vigne-hôte (Tetrastigma sp.) de Rafflesia keithii. Bornéo, 2012.
Feuilles de la vigne-hôte (Tetrastigma sp.) de Rafflesia keithii. Bornéo, 2012.

Vous l’aurez compris, il est très difficile de repérer une rafflésie dans son milieu naturel car seule la fleur est visible… mais pas souvent et pas longtemps ! Il faut compter une moyenne de 5 ans d’une génération à l’autre et une durée de floraison de quelques jours.

Il est quasiment impossible de cultiver ces plantes tant leur cycle de vie est complexe et dépendant de leur hôte ! Le jardin botanique de Bogor à Java en Indonésie a toutefois réussi récemment à inoculer l’espèce Rafflesia patma à l’intérieur de la vigne Tetrastigma et a obtenu sa floraison après plusieurs années. Une première étape pour la préservation et la conservation des rafflésies hors de leur milieu naturel menacé par la déforestation. Par exemple, l’espèce Rafflesia magnifica n’a été décrite qu’une seule fois aux Philippines et a été classée, dès 2008, en « danger critique d’extinction » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

Cycle de vie de Rafflesia keithii. D’après le schéma proposé par Manvir Singh (https://archive.org) et le cycle établi par Meijer (1985), Kulip (1990), Nals (1997) et Hidayati.

Mais la recherche s’intéresse aussi aux plantes parasites ? Et rares ?

 

La stratégie parasitaire connaît un immense succès et a évolué de façon indépendante chez les plantes à fleurs (Angiospermes). Environ 4 000 espèces de plantes sont des parasites d’autres plantes avec lesquelles elles ont tissé des liens plus ou moins importants de dépendance.

Le genre de plante parasite le plus étudié est le Striga (famille des orobanches) qui comprend les ravageurs agricoles les plus dévastateurs Striga hermonthica et Striga asiatica. La recherche sur ce genre de plantes a contribué à améliorer notre compréhension de la diversité génétique des formes de parasitisme. Et, malheureusement, les relations les moins étudiées concernent les plantes qui se trouvent dans des endroits éloignés, qui ont des cycles biologiques complexes, et qui n’affectent pas les cultures agricoles. Ce qui est le cas des rafflésies.

 

Toutefois, des études récentes comblent des lacunes importantes dans notre compréhension de la biologie des populations de rafflésies :

 

  • Le potentiel étendu de propagation de la rafflésie dans sa vigne hôte : le cas le plus exceptionnel est un individu de Rafflesia tuan-mudae qui avait colonisé environ 15 m de son hôte Tetrastigma. Et ce degré de colonisation peut même être corrélé avec la quantité de fleurs : un individu de Rafflesia cantleyia a produit jusqu’à 25 fleurs pour un seul pied de vigne. Cependant, les rafflésies les plus représentées sur un même territoire semblent produire peu de fleurs, tandis que celles plus localisées en produisent de nombreuses. Il en serait de même avec la taille des fleurs : plus elles sont grandes, moins elles sont nombreuses.

 

  • L’infection fréquente des vignes hôtes par plusieurs individus : un seul hôte Tetrastigma peut être infecté par plus d’une dizaine d’individus génétiquement différents.

A-t-on besoin d’aller si loin pour voir ce genre de curiosités végétales ?

 

Et bien non, en France nous avons aussi des rafflésies ! Ou tout du moins un membre de leur famille, même si tous les botanistes ne sont pas d’accord sur ce lien familial. Dans le maquis méditerranéen de Provence et de Corse on trouve la cytinelle (Cytinus hypocistis) qui épanouit ses fleurs d’avril à juin. Tout comme sa cousine asiatique, la cytinelle vit à l’intérieur d’une plante hôte, le ciste (Cistus sp.) et profite de la belle saison pour en sortir et fleurir. Par contre, ses proportions sont plus raisonnables, de l’ordre de quelques centimètres, et ses couleurs vives la trahissent au ras du sol, parmi les feuilles mortes. Il existe deux sous espèces : la cytinelle rouge (sous espèce clusii) qui parasite les cistes à fleurs roses et la cytinelle jaune (sous-espèce hypocistis) qui parasite les cistes à fleurs blanches. Nous avons également pu l’apercevoir à plusieurs reprises lors de nos randonnées botaniques dans le massif des Maures.

Alors lors de vos prochaines balades, ouvrez l’œil !

Fleur de cytinelle jaune (Cytinus hypocistis hypocistis). Massif des Maures, 2019
Fleur de cytinelle jaune (Cytinus hypocistis hypocistis) au pied de son hôte, le ciste a feuilles de sauge (Cistus salviifolius). Massif des Maures, 2019
Fleur de cytinelle jaune (Cytinus hypocistis hypocistis) pollinisée par le papillon Citron de Provence (Gonepteryx cleopatra). Massif des Maures, 2019
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