Covid-19: des virus, des Hommes et des plantes

Au cours de ces dernières semaines, nous avons tout pris conscience de la vulnérabilité de notre monde devant un ennemi d’une taille d’environ 150 nanomètres, soit plus de 10 000 fois plus petit qu’un grain de sable ! La dispersion de ce dernier à l’échelle de la planète – ou pandémie – restait il n’y a pas encore si longtemps presque impossible à imaginer à notre époque. Et pourtant…

Et si la propagation de la crise générée par ce nouveau virus – « le Covid-19 » – est sans précédent, la propagation des virus chez l’être humain est loin d’être nouvelle. Plusieurs virus ont déjà fait des ravages au cours des dernières décennies. Qu’il s’agisse du VIH (Sida), du H5N1 et H7N9 (grippes aviaires), du SRAS-CoV (SRAS), du virus Ébola (maladie à virus Ébola) ou encore du H1N1 (grippe porcine), nous verrons que les virus ont toujours côtoyé l’Homme, les animaux mais aussi les végétaux.

Devons-nous craindre une transmission du « Covid-19 » aux végétaux ? Les végétaux ont-il un lien avec ce virus ? Et qu’en est-il des virus des plantes ? Quelles solutions existent-il pour en réduire la transmission et leur impact ? C’est ce dont nous allons vous parler dans cet article.

Avant toute chose, nous pouvons être persuadés que l’activité humaine a bel et bien modifié de façon significative la plupart des environnements terrestres et océaniques, à tel point qu’une nouvelle ère a été définie ! Vous savez, ces périodes de temps géologiques jusqu’à présent plutôt très longues comme celles des grands dinosaures [Mésozoïque (ère secondaire)], des grands oiseaux [début du Cénozoïque (ère tertiaire et quaternaire)], etc. Il s’agit de l’Anthropocène, littéralement « l’ âge de l’Homme », une nouvelle période du Cénozoïque.

Mais c’est quoi au juste un virus ?

Un virus – encore un mot qui provient du latin et qui signifie « poison, toxine » – est une entité infectieuse qui, à l’inverse des champignons, bactéries et autres agents pathogènes, est non vivante. Celle-ci est « simplement » porteuse d’informations génétiques et ne peut se développer sans un « hôte », c’est-à-dire un organisme vivant cette fois-ci, dont elle détourne la machinerie cellulaire pour former de nouvelles entités infectieuses. Les virus provoquent le plus souvent des perturbations métaboliques conduisant à l’expression de symptômes.

Il faut avoir à l’esprit que les maladies et les virus qui en sont à l’origine portent souvent des noms différents. C’est ce que nous avons pu constater pour le VIH, responsable du sida, par exemple. Le plus souvent, nous connaissons le nom de la maladie sans avoir aucune idée du nom du virus qui en est la cause. Et pourtant, comme nous l’avons vu dans Les racines de la botanique, s’entendre sur la dénomination d’un sujet donné est indispensable : il permet de lever toute ambiguïté sur l’identité de ce sujet et surtout de pouvoir échanger avec des personnes qui ne parlent pas la même langue que nous. Mais en ce qui concerne les virus et les maladies, leur dénomination passe par des processus différents et leurs finalités sont elles aussi différentes.

Les virus sont nommés en fonction de leur structure génétique pour notamment faciliter la mise au point de tests de diagnostic, de vaccins et de traitement médicamenteux. Le nom des virus est attribué par des experts scientifiques du Comité international de taxonomie des virus (ICTV) tandis que le nom des maladies est davantage choisi pour faciliter les échanges que ce soit au niveau de la prévention, de la propagation, de la transmissibilité, de la sévérité tout autant que du traitement des maladies. En toute logique, le nom officiel des maladies est donc attribué par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans le cadre de la Classification Internationale des Maladies (CIM).

Le Comité International de Taxonomie des Virus (ICTV) a annoncé le 11 février 2020 que le nom de ce nouveau virus serait « coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère» (SARS-CoV-2). Ce nom a été choisi car ce virus est génétiquement apparenté – mais pour autant très différent – au coronavirus responsable du SRAS en 2003.  Et ce même jour, L’OMS a annoncé que le nom de la maladie associée serait « COVID-19», conformément aux lignes directrices précédemment élaborées avec l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le chiffre fait quant à lui référence à l’année de l’identification du virus ou de la maladie.

Existe-t-il une structure telle que l’OMS pour les végétaux ?

Bien que l’OMS ait rédigé des directives sur les bonnes pratiques agricoles et les bonnes pratiques de récolte (BPAR) relatives aux plantes médicinales, ce sont l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) et la Convention Internationale pour la Protection des Végétaux (CIPV) qui, avec les organisations régionales et nationales de la protection des végétaux, travaillent à la préservation de la santé des plantes d’intérêt agronomique et horticole.

En effet, il est essentiel de prendre en compte la santé des plantes. Car, outre les activités humaines, le changement climatique a également largement modifié les écosystèmes, réduisant la biodiversité et créant de nouvelles niches où les agents pathogènes et les maladies sont susceptibles de se développer. Par ailleurs, aujourd’hui, ces derniers ont la possibilité de se propager extrêmement rapidement aux quatre coins de la planète. Pour donner un chiffre, les déplacements et les échanges internationaux ont triplé de volume au cours des seules 10 dernières années.

Les maladies des végétaux sont souvent impossibles à éradiquer une fois qu’elles se sont installées, et les opérations de lutte sont longues et coûteuses. Ce qui veut dire que la prévention est essentielle pour protéger notre environnement, au même titre que l’agriculture, les moyens d’existence et la sécurité alimentaire. Ce n’est pas pour rien que la FAO et la CIPV ont proclamé que 2020 est l’année internationale de la protection des végétaux.

C’est donc une occasion formidable de nous poser, et de prendre le temps de comprendre comment nous pouvons contribuer, à notre échelle, au bon état de la biodiversité, en veillant par exemple à ne pas introduire de végétaux d’autres pays ou en ayant recours à des pratiques culturales respectueuses de l’environnement.

Il y a aussi des virus chez les plantes alors ?

Bien sûr que oui ! Les virus ne s’attaquent pas qu’au monde animal : bien qu’on n’en connaisse pas le nombre exact, l’ICTV recense environ 1 400 espèces de virus de végétaux, ou phytovirus. Et bien que ce nombre soit en constante augmentation, aucun ne s’est jamais transmis à l’homme. Ouf !

En fait, Les virus sont présents chez une large gamme d’organismes (bactéries, archées, plantes, champignons, animaux) qui occupent des niches écologiques très variées comme les océans, les sols ou encore les aérosols.

Mais pour en revenir au phytovirus, depuis l’identification du virus de la mosaïque du tabac à la fin du XIX^èmesiècle – le tout premier virus découvert – la recherche s’est essentiellement concentrée sur les virus qui infectaient les plantes cultivées (par opposition aux plantes sauvages). Il faut dire, que si les principaux agents pathogènes responsables de maladies chez les végétaux sont des champignons, aujourd’hui, 50% des maladies émergentes sont d’origine virales (Denis Filloux, chercheur en virologie végétale au Cirad).

Et cela ne s’arrête pas là, les maladies d’origine virale seraient aussi plus fréquentes dans les zones où l’on cultive des plantes (champs) que dans les zones non cultivées (zones naturelles). Philippe Roumagnac, chercheur au Cirad, a ainsi démontré que les virus se diffusaient plus facilement lorsqu’ils étaient en présence d’une population dense d’une même espèce. Dans cet état d’esprit, ce qui est valable pour les plantes l’est aussi pour les êtres humains : les maladies de l’Homme sont apparues au moment même où celui-ci a commencé à semer/planter des végétaux homogènes en termes de patrimoine génétique. C’est à dire au moment de l’apparition de l’agriculture ! Le fait même que les humains se soit regroupés dans des villages a directement favorisé aussi bien les épidémies de maladies humaines que le développement des épidémies des cultures !

Par ailleurs, sur ces 1 400 espèces de virus des plantes répertoriées par l’ICTV, seulement 10% proviendraient de plantes sauvages. Ce biais généré dans l’interprétation des connaissances acquises, permettrait, si nous le comblions, de définir de nouveaux itinéraires culturaux afin de limiter la propagation des maladies en favorisant notamment les mélanges variétaux ou la culture simultanée de diverses espèces végétales, par exemple.

Les virus de plantes voyagent donc moins bien que les virus animaux ?

Ça veut dire qu’il n’y a pas de pandémie pour les plantes ?

Là encore c’est une idée reçue ! L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a par exemple confirmé au mois de février 2020 la détection en France, sous serres, dans le Finistère, d’un nouveau virus qui menace les cultures de tomates, piments et poivrons. Le Tomato brown rugose fruit virus (ToBRFV) se transmet par les semences, les plants et les fruits infectés. Il est susceptible de survivre longtemps sans perdre son pouvoir infectieux et, à ce jour, il n’existe aucun traitement ni aucune variété résistante. Identifié pour la première fois au Moyen-Orient en 2014, les nouveaux cas d’infection au ToBRFV se multiplient depuis 2018, que ce soit au Mexique, aux États-Unis, puis en Europe et en Asie.

La « dangerosité » du virus vient de sa facilité de transmission. Un contact par les mains, les vêtements, les outils, les insectes ou tout autre support contaminé est susceptible de transmettre la maladie à une plante saine. Rappelons-le une fois de plus, ce virus ne se transmet pas à l’homme et n’est pas dangereux pour la santé.

Les symptômes du ToBRFV se présentent sous la forme de décolorations et de déformations des feuilles et des fruits qui deviennent impropres à la commercialisation. Que vous soyez maraîcher ou jardinier amateur, en cas de suspicion n’hésitez pas à prévenir les services régionaux du ministère de l’Agriculture.

Selon les recommandations du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, les bons réflexes à adopter sont :

• • • Privilégier les achats de plants en France chez votre pépiniériste préféré. Vendus par internet, ils doivent être accompagnés d’un passeport phytosanitaire.
    • Se laver les mains est recommandé avant et après avoir jardiné.
    • Désinfecter les outils et matériels avec un produit virucide, après chaque utilisation.
    • En cas de suspicion, contacter la Direction régionale de l’alimentation, l‘agriculture et la forêt (DRAAF) de sa région.
    • En cas de doute, ne pas déplacer les végétaux au risque d’en contaminer d’autres.

De façon générale, à de rares exceptions près, les virus végétaux survivent très peu de temps s’il ne sont pas en contact avec leur plante-hôte. La survie d’un virus dans la nature dépend essentiellement de sa capacité à se transmettre soit via la descendance de sa plante-hôte (transmission verticale ou végétative via les graines, tubercules, bulbes, boutures, pollen, etc.) soit par le biais d’autres plantes, de la même espèce ou non (transmission horizontale par blessure mécanique, par contact lors de greffes ou par l’intermédiaire de plantes vectrices intermédiaires (cuscutes) ou au moyen de vecteurs animaux (pucerons, cochenilles, nématodes, acariens, etc.) ou fongiques).

Quels sont les moyens de lutter contre un virus quand on est une plante ?

Parce qu’agents pathogènes et plantes se côtoient depuis pas mal de temps, les plantes ont développé tout un ensemble de mécanismes de défense. Certaines d’entre elles, par exemple, programment le « suicide » de quelques cellules autour du point d’entrée de leur agresseur viral, le privant ainsi de tous moyens de subsistance. Ce mécanisme est appelé « réaction d’hypersensibilité ». Par une autre stratégie de défense, les cellules végétales « surveillent » les ARN présents en leur sein et, par un phénomène dit de silencing – ou extinction génique, en français – vient inactiver de manière ciblée le génome viral. Il faut toutefois préciser que la plupart des virus de plantes s’adapte à ce système de surveillance grâce à une ou plusieurs protéines susceptibles de neutraliser les défenses de la plante.

De plus, il existe un mécanisme dont les effets pourraient être comparés à ceux de notre système immunitaire : en réponse à un virus, les plantes synthétisent des facteurs antiviraux (AVF) qui dégradent l’agresseur et développent ainsi une résistance acquise. Chez le tabac, il a été montré que cette résistance acquise permettait de réduire les symptômes lors d’une infection ultérieure.

Et pour aider les plantes dans leur combat, les moyens de lutte disponibles contre les maladies virales transmises par un vecteur, sont de deux types :

• • • La lutte contre les vecteurs de transmission, qui vient « casser » le cycle de la maladie (insecticide, etc.),
    • Et la résistance génétique vis-à-vis de l’agent pathogène.

Aujourd’hui, il n’existe quasiment pas de moyen de lutte curatif – c’est-à-dire à partir du moment où les symptômes sont visibles – utilisable en pratique dans les champs ou les jardins. Certains traitements thermiques utilisés en horticulture associés à la culture in vitro de méristèmes¹ peuvent montrer un intérêt qui reste cependant très relatif étant donnés leur durée et leur coût.

Toutefois, les règles générales de lutte contre les virus de végétaux associent la production de matériel végétal sain, l’élimination des sources de contamination et des vecteurs, ainsi que le recours aux variétés de plantes résistantes ou tolérantes à un virus donné. Cette dernière solution – ou résistance variétale – a permis l’éradication de la race 0 du Tobacco mosaïc virus (TMV) en France chez la tomate grâce à l’utilisation de variétés possédant le gène Tm2², cultivées depuis près de 50 ans.

¹Un méristème est un ensemble de cellules végétales de type embryonnaire, non-différenciées, capables de se différencier en tous types cellulaires, et dont la multiplication est très rapide. C’est grâce à leurs méristèmes que, contrairement à la plupart des animaux, les végétaux peuvent grandir toute leur vie. On parle de croissance indéfinie.

Ok, on a compris qu’aucun virus de plante n’était transmissible à l’homme. Mais est-ce que c’est vrai dans le sens inverse ?

Et qu’en est-il pour le SARS-CoV-2 responsable de la COVID-19 ?

Pour en revenir au virus responsable de la COVID-19. Une synthèse proposée par le Département de Virologie de la Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie établi qu’il s’agit d’un virus à ARN (Acide Ribonucléique) enveloppé, appartenant à la famille des Coronaviridae. Cette vaste famille de virus est susceptible de provoquer un large éventail de maladies à la fois chez l’être humain et l’animal et uniquement chez ces espèces. Les végétaux ne peuvent donc ni être contaminés par le SARS-CoV-2 ni être contaminants !  

Tout ce que nous venons de voir sur les virus est à envisager pour l’ensemble des agents pathogènes des plantes, car en dehors des virus, il existe d’autres agents parasitaires comme les bactéries, les phytoplasmes, les protozoaires ou encore les champignons. Ces parasites sont le plus souvent infectieux, c’est-à-dire qu’ils sont capables d’envahir leur hôte végétal et de s’y multiplier avant d’être transmis à une plante saine (contagion).

Mais cela ne s’arrête pas là ! Ainsi, à l’opposé des maladies causées par ces agents pathogènes – dites ‘maladies biotiques’ – de nombreux symptômes observés sur nos plantes résultent de conditions écologiques non adaptées. On parle alors de ‘maladies abiotiques’ parmi lesquelles on distingue celles liées au climat (lumière/obscurité, chaud/froid, sécheresse/excès d’eau, etc.), à la nutrition carences/excès, déséquilibre, pH, etc.) ou à la pollution (des sols, des eaux, de l’atmosphère).

Mais ceci est une autre histoire. Une longue histoire, même ! Nous reviendrons par le biais d’autres articles sur ces points avec des exemples détaillés.

Après le botaniste : le phytopathologiste !

La science qui s’intéresse aux maladies des plantes est appelée Phytopathologie. Au début des années 2000, Philippe Lepoivre – Ingénieur Agronome et Docteur en sciences agronomiques de la Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux (Belgique) – disait de la phytopathologie qu’elle faisait appel « à la botanique, la microbiologie, la biologie moléculaire, la génétique, la biochimie, la physiologie végétale, l’écologie, la phytotechnie, la toxicologie, l’épidémiologie et l’économie ». Aujourd’hui, nous ajouterions à cette longue liste « l’attente sociétale » et la « dimension sociologique ».

Cette approche globale fait du Phytopathologiste – le médecin des plantes – un expert indispensable dans le développement d’une société. Mais là encore, nous aurons l’occasion d’y revenir…

En conclusion, la propagation des maladies fortement contagieuses à l’échelle de la planète, telle la COVID-19, est intimement liée à la santé de l’environnement. La destruction des habitats naturels et des écosystèmes expose la Vie en générale à de multiples risques. Et si nous sommes tous interdépendants, nous avons tous notre place… peut-être devons-nous « juste » trouver quelle est la nôtre ?

Pour aller plus loin

Organisation Mondiale pour la Santé (OMS)

Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO)

2020, année internationale de la protection des végétaux

Phytopathologie_Philippe Lepoivre. 427p. Éditions De Boeck Université. 2003.

L’Anses met en garde contre un virus émergent qui affecte les plantes potagères